mardi 11 octobre 2011

L'angoisse: est-il sain de vouloir s'en débarrasser?

Généralement considérée comme pathologique, elle reste pourtant un facteur indispensable à la survie de notre espèce.

  Tandis que les manuels de gestion du stress et de pratique de méditations en tout genre se multiplient, invitant l’homme moderne dépressif à reprendre des modèles de la sagesse antique, il devient très en vogue de tenter de se libérer des émotions négatives pour vivre dans la sérénité la plus absolue possible. 
 Cependant, concevoir comment fonctionnerait une société dans laquelle on arriverait en retard et  tranquille pour effectuer une chirurgie d’urgence, et où l’on regarderait sans sourciller les événements de Fukushima, laisse plutôt perplexe.
   L’anxiété, la colère et l’indignation ne sont-elles pas nécessaires à toute évolution, et précurseurs de changements parfois salutaires?

Zen et actif
 On objectera ici qu’accepter n’est pas se résigner, et que le sang-froid et le calme sont les meilleurs atouts requis pour faire face aux situations de crises ou de danger extrême. Reste à savoir ce que l'on fait des cauchemars et des attaques de panique, qui surgissent généralement après-coup, ou avant terme. Est-il juste de traiter ces manifestations de névroses ou de pathologies mentales, sachant qu’elles correspondent, biochimiquement entre autres, au rétablissement d’équilibre entre adrénaline, sérotonine et noradrénaline dans l’organisme humain?

Les angoisses inutiles
Giulio Cesar Giacobbe nous propose, dans son best-seller «Même pas peur!», aux éditions First, des méthodes concrètes pour surmonter au quotidien nos peurs et nos inhibitions, qu’il considère comme une source majeure de souffrance. Il se réfère clairement à des blocages infantiles, inadéquats à l’âge adulte, en nous interrogeant alors le regard social au sujet de ce qui est "normal". L’attitude sûre et justement revendicative d’un employé, déterminé à dépasser son sentiment d’infériorité, pourra dans la vie concrète être jugée comme insolente et "sans complexe", et finalement entraîner son licenciement et son chômage. L’idéal qui consiste à exprimer une émotion authentique n’est pas toujours compatible avec la nécessité alimentaire, ni avec la réalité de l'entourage.

Le contexte
 Le même auteur nous expose dans un autre ouvrage Comment devenir Bouddha en cinq semaines, considérant cette illustre figure de la sagesse orientale comme une sorte de modèle de psychologue avant la lettre. L’offre est alléchante, si l’on met à part le fait que ce personnage, le plus célèbre du nom, puisqu’il existe plusieurs Bouddhas, était fils de Roi, et pouvait s’adonner à loisir à la méditation profonde sous un arbre, et cela durant des années. Qu’en serait-il du même prince s’il était né dans un contexte différent, comme dans celui du film poignant de Luis Buñuel, «Los Olvidados», parmi ces enfants mexicains de la rue, attrapés entre l’absence de mère, l’alcoolisme et la violence de leurs pères, et la nécessité d’être délinquants pour survivre?



La sagesse antique
 
Comme l’écrivit si justement Socrate, «Je peux me permettre d’être philosophe parce que je suis né dans une certaine classe sociale. Comme fils d’esclave, ma vie aurait sans aucun doute était différente.» A son tour, Marc Aurèle suppliait les Dieux de lui donner la force de changer ce qui peut être changé, d’accepter ce qui ne pouvait pas être transformé selon ses désirs ou sa volonté, et surtout, de savoir faire la différence entre les deux. C’est sur ce dernier point, peut-être, que les manuels de pratique d’attitudes «zen», qui peuvent s’avérer d’une grande aide sous bien des aspects, trouveront leurs limites.

Vision psychanalytique
Tandis que pour Sigmund Freud l’angoisse révèle «un plaisir ou un désir non exprimé comme tel», soit réprimé, ce qui conduisit son disciple Wilhelm Reich à l’ouverture de cliniques de «libération sexuelle», estimant qu’en faisant plus «l’amour» l’être humain deviendrait moins conflictuel, pour Carl Gustav Jung, observateur de la tradition des amérindiens Pueblos, l’anxiété signale l’éveil salutaire de la conscience du danger chez l’enfant, soit une étape de maturité.

Classifications médicales
La psychiatrie, quant à elle, considère que la peur est pathologique lorsqu’elle est signalée comme perturbante, douloureuse ou gênante par le sujet qui en souffre, et/ou par son entourage. Elle reconnaît ici la limite de son champ d’action, car le sujet capable de parler de ses angoisses est forcément moins oppressé que celui qui ne l’est pas. Autrement dit, le patient qui arrive en psychiatrie, avec comme motif un syndrome d’anxiété, appartient en général à une tranche de population moins névrosée que la moyenne, qui ignore ou dénigre son symptôme, et qui, le plus couramment, utilise l’alcool comme anxiolytique.

Culpabilité
 Il est remarquable de constater comment cet engouement pour les traditions orientales, amérindiennes ou tribales, qui se développe depuis les années 60, ridiculise souvent l’homme moderne dans sa vie étriquée métro-boulot-dodo. On lui offre des modèles chaque fois plus performants, au risque d’en être simplistes, garantis rapides et efficaces, pour en finir avec ses phobies et le soulager de ses traumatismes.
    La personne qui parle aujourd’hui d’une attaque de panique se verra proposer toute une panoplie de solutions, allant du valium à l’orientation Feng Shui de sa chambre à coucher, en passant par le yoga et par la litho thérapie, à savoir la guérison par les pierres, les fleurs de Bach et autres médecines alternatives, jusqu’à constater deux phénomènes surprenants : le pauvre "malade" n’aura pas eu le temps d'exposer son problème, alors qu’une écoute sympathique était probablement tout ce qu’il venait chercher. 

 Et, pour finir, devant une telle avalanche de solutions miracles, un sentiment de culpabilité collective se développe : c’est mal d’être angoissé, et c'est sûrement à la portée de tous d’en "guérir".

Le droit d'être anxieux

Indiscutablement, rajouter des reproches ici ne fera qu’aggraver les choses. Le regard de l’entourage, porté sur la personne en souffrance, sera déterminant, qu’on la considère comme malade mentale, ou avec indifférence et sans autre préoccupation, ou encore de façon humaine : ne traverse-t-elle pas simplement, en ce moment, des épreuves qui expliquent et valident son état, comme étant dans l’ordre du «normal» et de «l’acceptable»?

Ou bien est-il temps de demander de l’aide à un spécialiste, en évitant de juger et d’étiqueter, personne ne pouvant être le psychologue de sa propre famille?

Attention, c’est contagieux

 

Comme la crise de fou-rire se propage souvent chez les personnes qui en sont témoins, la peur crée un malaise qui ramène chacun à son propre vide existentiel, défini par le célèbre psychiatre et psychanalyste français Jacques Lacan, comme un état de «manque» caractéristique à l’espèce humaine. Dans ce mal-être intérieur, l’artiste cherche son inspiration et tente de se sublimer, en s’exprimant au travers ses œuvres, le chercheur pousse ses investigations avec la nostalgie qu’il pourrait aller encore plus loin, et la maîtresse de maison change la routine quotidienne autant qu’elle le peut, avant de s’y asphyxier, et dans la mesure de ses moyens. 
Ici les grandes traditions rencontrent les conclusions modernes, par exemple dans la pratique du bouddhisme-zen, centrée justement sur la contemplation et la confrontation au vide.

Si l’anxiété présente des symptômes et des caractéristiques générales et communes à l’ensemble d’une population, elle constitue cependant pour chacun un moment unique dans son histoire, dont le sens ne saurait se réduire à une analyse généralisée, qui correspondrait à un remède universel, et de surcroît garanti comme étant efficace pour tous, quel que soit le cas de figure.

Face à ce mystère existentiel, la prudence, la tolérance, la bienveillance et l’humilité sont peut-être les attitudes les plus opérantes, ainsi que l’écoute active et patiente.
 

Article dédicacé à notre invitée d’honneur Agnès Bella Tavassi, qui a choisi «Même pas peur!» de Giulio Cesar Giacobbe, aux éditions First, comme livre qui l’a profondément interpellée, et «Los Olvidados », de Luis Buñuel, comme film-culte, dévoilant ainsi la richesse de sa culture autant que celle de sa personnalité.


Agnès Bella Tavassi, Coach et Art thérapeute en profession libérale, diplômée en PNL.
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Ses blogs: Art Joyeux et
Mieux Etre et Coaching.

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